Des vies derriere l'art contemporain chinois

Publié le par Minglan

Une soiree de Nouvel An coloree et arrosee
...en compagnie d'artistes chinois
qui n'ont pas la langue dans leur poche




Un tableau de Wang Fei sur l'invasion japonaise en Chine
a la galerie New Millenium




Un de mes camarades m'avait invitee a passer la veille du Nouvel An avec ses amis, des artistes chinois, pour certains professeurs ou etudiants a l'Universite Tsinghua, qui possede une des meilleures ecoles d'art de Chine.



大山子 - Dashanzi et l'art contemporain chinois a Pekin


大山子, Dashanzi, un des hauts lieux d'art contemporain de Pekin
Source de la photo: http://www.artnet.com




Nous avons commence par nous rendre a 大山子,Dashanzi, LE quartier de l'art contemporain chinois de la ville, situee au nord-est, pres du 4eme peripherique. Dashanzi est un ensemble de batiments industriels datant de la fin des annees 50, et qui a ete investi par de nombreux artistes chinois qui ont transforme le lieu en une succession de galeries, d'ateliers, de logements et de lieux de spectacle et de restauration.
Le lieu a cependant garde son "charme" industriel, avec ses cheminees et ses tuyaux traversant le paysage, et d'ailleurs lorsque nous y sommes arrives, hier soir, il etait impressionnant de voir nombre de ces tuyaux de chauffage laisser echapper des panaches de vapeur sous pression, dans un bruit qui laissait presager une rupture prochaine des ladits tuyaux.

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Quelques photos de Dashanzi
http://www.7cun13she.com/diy/diyde/DAshanzi.htm
http://www.benoa.net/beijing/dashanzi/FRindex.html
http://fujikosuda.typepad.com/photos/dashanzi_art_district/sany0256.html
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Un exemple de lieu restaure a Dashanzi
http://www.798space.com
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Ce lieu fait partie des visites incontournables de la capitale, et d'ailleurs nombre de bloggeurs sur Pekin en ont deja parle, notamment parce qu'entre autres bonnes surprises, il abrite une creperie francaise!
http://blogderiz.over-blog.com/40-categorie-124804.html

Mais il faut vous depecher, car comme le notait un numero de mai 2005 d'un magazine de l'AF de Hong-Kong, le site est menace de destruction par les appetits immobiliers de quelques promoteurs, bien que la municipalite hesite etant donne l'interet porte au plan national et international aux activites artistiques du quartier.

http://www.alliancefrancaise.com.hk/paroles/numeros/194/04.html



Art et economie de l'art contemporain chinois


Nous etions invites a 17h pour une soiree privee a visiter un ensemble de galeries, que le professeur d'art qui etait avec moi commentait de maniere assez severe parfois.
Je decouvris une galerie differente des autres, la New Millenium Gallery, dont le choix etait tres interessant, et qui, cela tombait bien, exposait justement les oeuvres d'un artiste qui etait avec nous: des tableaux racontant des histoires poetiques qui masquaient une veritable critique de la societe contemporaine.


Mais ce qui m'a le plus interessee etait un ensemble de tableaux tres fins de Wang Fei, eleve de l'Academie Centrale des Beaux-Arts a Pekin, concernant la guerre sino-japonaise et a l'esprit nationaliste, notamment des tableaux vifs jouant sur les formes des deux pays.



D'apres la directrice de la galerie, le tableau ci-dessus, qui doit faire a peu pres 1 metre sur 2, coute 40 000 yuans, soit environ 4000 euros. Le prix ne m'etonne pas, etant donne la qualite du travail.
Par ailleurs, un autre artiste qui exposait m'a dit pendant la soiree que lui-meme vendait ses tableaux a 30000 yuans (15000 yuans comme prix plancher en cas de negociation), etant donne que la galerie prenait 50% du prix de vente. "Il est normal que le pourcentage soit si eleve, m'a-t-il dit, ces galeries nous aident a nous faire connaitre lorsque nous partons de zero. Ensuite, lorsque nous devenons plus connu, nous pouvons negocier pour que la galerie prenne seulement 10%. Mais a ce moment-la, le prix des tableaux etant plus eleve, les 10% valent bien les 50% du debut".
L'art contemporain chinois est a la mode (voir le site de la biennale d'art contemporain chinois qui s'est tenu cette annee a Montpellier: http://www.mcx.fr/) et est prise depuis plusieurs annees sur le marche de l'art international, avec le risque parfois de "marchandisation" que cela comporte. C'est le cas dans un des villages d'art ou l'on m'avait dit que finalement, moins de choses nouvelles s'y creaient depuis le grand interet que lui portaient les galeries etrangeres. Mais heureusement que les etrangers s'interessent a l'art contemporain chinois, car le marche a l'interieur du pays est encore peu developpe. En tout cas, l'impression que laisse Dashanzi a tous les visiteurs est celle d'un bouillonnement intellectuel intense et creatif.



L'art et la vie en Chine


La visite etait interessante, non seulement pour les oeuvres elles-memes, mais parce mon accompagnateur et les autres croises au detour des couloirs parlaient tres simplement de l'art. Oui, il y avait bien aussi ici un cocktail organise, la soiree etait privee, mais pas besoin ici de faire semblant de s'y connaitre en art ou de rester des heures devant un tableau pour faire comme les autres! Ce qui m'interessait autant que les tableaux, c'etait les commentaires des autres artistes. Ils n'hesitaient pas a rigoler franchement devant une toile, a dire que telle oeuvre remplie de paillettes  "ne pouvait qu'avoir ete creee par une fille", et ce qui me choquait, moi qui suis habituee a la Culture a la francaise, n'hesitaient pas a toucher les oeuvres ou les soulever pour en voir la face cachee, sans que personne ne leur dise rien.

Je retrouvais ici une ambiance a mi-chemin entre les galeries telles qu'on se les imagine (meme si naturellement il y a toutes sortes de galeries en France), et le joyeux capharnaum des squatts d'artistes de la region parisienne.

Lors de mes sejours en Chine j'ai toujours eu l'impression que les Chinois ne s'embarrassaient pas avec l'Art, et traitaient l'art de maniere simple et humaine. Dans nombres de villes chinoises, d'ailleurs, on trouve des sculptures en bronze creees pour accueillir les passants. Par exemple un banc avec deux personnages grandeur nature et une place pour que le passant s'assoie entre les deux. Si vous vous rendez dans la rue Wangfujing, vous verrez plusieurs exemples de ces statues, par exemple un pousse-pousse en bronze ou tous les Chinois prennent place tour a tour pour s'y faire prendre en photo, ou encore une sculpture pour les enfants comme le montre la photo ci-contre.
Neanmoins, bien que je ne sois pas allee longtemps a Shanghai, je crois que dans cette ville l'art est d'une approche moins facile.

Une autre chose en tout cas qui m'a toujours frappee, c'est l'interet des Chinois en general pour l'art. Et j'ai toujours ete impressionnee par la qualite des travaux artistiques des ecoliers et lyceens. A croire qu'ils sont tous nes peintres, calligraphes ou sculpteurs!



Paillardises, jurons et chansons a boire: je ne suis plus une etrangere


A 18h, toute notre troupe, 19 personnes, se mit en marche pour essayer de trouver un restaurant ou l'on puisse tous tenir. On finit par s'entasser autour de deux tables adjacentes dans une salle privee d'un restaurant chinois. Chacun d'entre nous commanda un plat (on compte souvent ainsi en Chine, un plat par personne, puis l'on partage), puis ensuite eux commanderent ce qu'il y avait de plus important pour eux: la biere. Quand j'entendis qu'on commencait avec 20 bouteilles, je songeais a la soiree que j'allais passer a boire...
Mon camarade m'avait prevenue et m'avait dit tres gentiment: "Mais ne t'inquiete pas, je te protegerai et j'ai demande a un des professeurs d'art aussi de te proteger". Je n'arrive toujours pas a m'habituer a ces "protections" pleines de bonne volonte, mais qui heurtent l'independance de mon esprit. Combien de fois en Chine je dois faire des efforts pour accepter que mes amis masculins portent mon sac, trainent mon velo, ou, comme ici, decident de me proteger contre les invitations a boire.

Mais finalement, je n'eus pas besoin d'etre protegee, car ici je sentais bien que je n'etais pas dans un diner officiel et donc que je ne serais pas invitee a boire a tout va. On ne me regardait pas avec curiosite, et finalement personne ne s'occupait trop de moi, a certains moments meme, quand mon camarade n'etait pas pres de moi pour traduire, je m'ennuyais drolement entre deux verres de biere, car ils plaisantaient entre eux et je ne comprenais pas bien leur chinois, qui tirait sur le familier ou le vulgaire.
Mais je n'allais quand meme pas me plaindre de ne pas etre consideree comme une etrangere!! Et puis certains essayaient de m'integrer au groupe, par exemple un jeune artiste travaillant dans le paysagisme qui cria a un moment avec sa fiancee a ses amis: "Non mais vous n'avez pas honte, on a une invitee et elle s'ennuie parce que vous ne lui parlez pas!". Par ailleurs, c'etait  si plaisant de me retrouver dans cette ambiance festive et desordonnee, entre ces artistes le bonnet sur la tete, en punk, grunge, rose bonbon, ou alors comme celui qui s'etait indigne de mon isolement temporaire qui avait cousu ses enormes lunettes a sa casquette; et de voir ces professeurs d'art sortir des blagues plus grasses les unes que les autres (qui m'etaient heureusement traduites par mon camarade), ponctuer leurs phrases de "Shabi" (fuck) et autres "Cao ni ma" (nique ta mere), raler contre les pressions et contraintes dans le cadre de l'universite, raconter de mechantes histoires sur les Japonais (que la plupart des Chinois haissent veritablement)... et chanter merveilleusement bien d'anciennes chansons chinoises (mais en remplacant quelques mots clefs pour leur donner un air paillard). Tout se melangeait, et tous les styles artistiques aussi. Il y avait la des artistes specialises dans l'art traditionnel chinois, des peintres, des sculpteurs, des designers, je rencontrai meme une fille qui travaillait pour Publicis en Chine!

Les bouteilles se debouchaient et les cendriers se remplissaient. On me demanda de chanter une chanson en francais. Ils ne connaissaient tous que la chanson d'Helene: "Je m'appelle Helene", qui continue a faire un tabac en Chine (comme Jordy d'ailleurs...). Ah non, pas Helene!! Pour aller avec l'atmosphere, n'arrivant plus a me rappeler l'air du "vin rouge et saucisson", je choisis une chanson facile a retenir: "Du rhum, des femmes, de la biere nom de Dieu...", ou a peu pres ca, de toute facon personne ne comprenait, mais ils furent tres interesses quand je leur traduisis le contenu de la chanson, et qu'ils apprirent qu'il y avait un juron dedans! J'avais fait le bon choix: ils me demanderent ensuite de la leur apprendre. Et oui, voila la culture francaise que je transmets en Chine!



On discute culture et politique: Chine, France et Etats-Unis


Parmi eux, il y en avait plusieurs qui avaient appris quelques mots francais, parce qu'ils etaient alles en France ou voulaient s'y rendre. Il y avait un artiste tres sympa qui avait decide de dire "salut" et "bonsoir" a toute personne qui entrait dans notre salle, ce qui etait frequent puisque le voyage jusqu'aux toilettes est obligatoire lorsqu'autant de bouteilles de biere defilent. On devait en etre au moins a 40 (heureusement qu'en China la biere la moins chere est a 4 yuans, 0.40 euro, la bouteille d'1,5 litres!).

Un des professeurs s'etait rendu a New-York, et il me parla longuement de l'absence de culture aux Etats-Unis, que tout la-bas etait trop simple, sans relief, sans culture, hormis les musees. Il voyait Jacques Chirac comme un homme de haut standing, me disant combien les Chinois l'appreciaient en tant que chef d'Etat et aussi pour sa connaissance de la culture chinoise.
Je discutais avec lui de l'omni-presence de l'anglais en Chine, et il etait en colere de cette mode de l'anglais, pestant contre l'anglicisation de la Chine, notamment a travers les programmes tele. Cela me rappelait une conversation avec une amie dont le mari chinois travaillait dans la finance et qui m'avait dit que dans les soirees des relations de son mari, elle avait decouvert que les Chinois du monde de la finance parlaient entre eux... en anglais! L'anglais pour les mondanites en Chine...une langue "huppee", un peu comme le francais dans l'Europe du 18eme siecle.
Je disais a mon interlocuteur que je n'arrivais pas a comprendre cette contradiction omnipresente en Chine: les Chinois disent ne pas aimer les Americains, mais ils sont omnibules par eux. Oui, me repondait-il, c'est exactement ce que je dis aux gens: "Vous dites detester les Americains, mais c'est faux, en fait vous les admirez plus que tout au monde, vous ne revez que d'une chose, c'est de leur ressembler en tout point". Naturellement, en meme temps on est oblige de se dire different, ajouta-t-il, d'ou ce jeu contradictoire d'allers-retours. Il approuva le mot de jalousie ou d'envie que je trouvai pour resumer ce qu'il m'avait dit, et revint sur la position independante de la France que les Chinois admirent tant. Je crois que s'il y a un positionnement que les Chinois aimeraient trouver, c'est justement d'etre aussi puissant economiquement que les Etats-Unis, et avoir le "panache" culturel et diplomatique de la France dans ses grands moments d'opposition a la politique americaine.
On discuta aussi comme souvent de l'opposition franco-anglaise, et naturellement du Musee du Louvre.



Autour de minuit: du rock, du rap, et l'inevitable Internationale


Quelques-uns partirent, et du coup on se serra comme des sardines a 15 ou 16 autour d'une seule table pour chanter tous ensemble une chanson avant les douze coups de minuit. Et comme ils n'arrivaient pas a se mettre d'accord sur une chanson, ils deciderent de chanter l'Internationale! Il faut vraiment que j'en apprenne les paroles en chinois, car ce chant revient souvent pendant les repas!
A la fin du repas, je me trouvai dans une position difficile comme souvent, car apparemment ils avaient decide de ne pas me faire payer, et du coup mon camarade se mit en colere quand j'insistai pour payer ma part: "Quand je dis que ce n'est pas la peine, ca veut dire que c'est Ok, tu n'as pas a discuter".
Bon, ce n'etait pas grave car je leur avais achete une bouteille de vin rouge importee de France, et je la leur offris pour la deuxieme partie de la soiree, dans un karaoke non loin de la. Les chansons qu'ils avaient choisies me plaisaient et changeaient des habituelles chansons d'amour: du rock et du rap chinois, je serais bien restee a les ecouter. Mais il etait 2 heures du matin, mon camarade devait rentrer et moi-meme j'avais un mal de crane insupportable a cause des verres de biere vides a la file. Il etait plus raisonnable de rentrer avec lui a l'universite... mais j'espere avoir d'autres occasions de revoir tout ce groupe.



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Pour aller plus loin:

Si vous voulez voir un apercu de la vie d'un artiste chinois, je vous propose de visiter le site de 7cun13she que j'ai trouve sur Internet:

http://www.7cun13she.com/diy/fu1.htm

Il y propose plusieurs photos de Dashanzi:

http://www.7cun13she.com/diy/diyde/DAshanzi.htm

Et a un blog que vous pouvez visiter, il y a beaucoup de photos:

http://blog.sina.com.cn/u/1044095922


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新年快乐!

xin nian kuaile!

Bonne annee!



Publié dans Regards sur la Chine

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